Aboudou Dabo Dabs acteur culturel : « Si le Burkina continue dans cette posture sans protéger son marché intérieur, les artistes Burkinabè continueront de perdre des marchés et se verront bloquer sur le marché international »
Le showbiz burkinabè est à la croisée des chemins depuis plusieurs années. Il peine à se faire une place sur la scène internationale, tandis que des pays africains comme le Nigeria brillent de mille feux sur les scènes mondiales. Les artistes burkinabè, quant à eux, malgré des concerts locaux et quelques tournées dans des cabarets en Europe ou en Amérique, souffre d’un manque de notoriété internationale. Le manager d’artistes, qu’il soit une personne physique ou morale liée à un artiste ou à un groupe d’artistes par un contrat ou un arrangement, est souvent une figure de l’ombre. Leur nombre croît en même temps que celui des artistes au Burkina Faso. Travaillant pour des maisons de production ou de manière indépendante, ils agissent comme l’interface entre l’artiste et le monde extérieur. Bien que le métier de manager soit plus répandu dans le milieu musical, on le retrouve dans divers autres secteurs artistiques. Derrière chaque artiste se cache une équipe, où le manager occupe une place centrale. Au Burkina Faso comme ailleurs, ces professionnels restent souvent méconnus du grand public. Pour en savoir plus sur le showbiz burkinabè, nous avons rencontré l’une des figures de cet univers : Aboudou Dabo, plus connu sous le pseudonyme de Dabs. Avec lui, nous avons abordé les difficultés du milieu ainsi que les perspectives.
Pouvez-vous présenter votre parcours dans le domaine du management de carrière d’artistes ?
Je suis Aboudou Dabo plus connu sous le pseudonyme de Dabs. Je suis arrivé dans le monde de la culture en 1992 après avoir quitté la Radiotélévision du Burkina Faso. A l’époque, j’étais passionné du management culturel mais malheureusement quand j’en parlais, personne ne savait ce que c’est. Ma rencontre avec Ouepia Korabié fut des plus fructueuse car grâce à lui j’ai pu acquérir une documentation qu’il avait rapporté de la Belgique. Cette documentation m’a permis de m’initier au métier de manager culturel en autodidacte. J’ai pu bénéficier par la suite de plusieurs formations. En 1994, je fonde la structure Universel Showbiz dont le siège sera fixé en 1995 à l’Espace Culturel Espace Rencontre de Tanghin. Je travaille dans le management des artistes, la production musicale et la promotion du spectacle. J’ai eu le plaisir de travailler sur le plan management avec des artistes comme le regretté Aouè Gerard, Damso sko puis plus tard avec Pascal Kaboré, Rickson, Sana Bob, François Bayala CPZ, Fat Lion, Dayisso, Grand Docteur, Ima Hado etc. Le management culturel que j’ai appris inclut la capacité de conception et d’organisation d’événements et de production d’œuvres artistiques diverses. J’ai conçu plusieurs documents projets d’évènements dont plusieurs festivals. En 2004, je suis devenu administrateur de la Fédération des festivals. J’ai conçu plusieurs projets et réalisés desévènements, accompagné plusieurs projets culturels, réalisé dans la dynamique d’accompagnement de la promotion plusieurs biographies d’artistes. Je suis auteur de deux ouvrages » Musique du Burkina Faso, Hier et Aujourd’hui, Acteurs, Visages et Parcours Tome 1 « , et « Gestion d’une carrière musicale, la Méthode DABS, le Guide pratique « . Je suis actuellement Directeur General de l’entreprise culturel SUD EMBLEMES, la forme rénovée de Universel Show Biz, producteur de plusieurs artistes. Je suis Consultant en conception, promotion et développement de l’évènementiel des festivals et des carrières artistiques, membre de plusieurs, commissions de réflexions ou de jury en qualité d’expert, de conférencier ou de spécialiste de la musique burkinabè.
Comment évaluez-vous l’état actuel du show-biz au Burkina Faso ?
D’abord je tiens à rappeler la signification du mot Show Business avec pour diminutif Show Biz. Le Show Biz est un terme qui désigne tous les aspects de l’industrie du divertissement. En musique c’est l’aspect spectacle qui constitue son fondement. Bref, il désigne l’industrie du spectacle, l’ensemble des activités commerciales liées à l’exploitation en spectacle des œuvres musicales. De nos jours, l’insécurité et l’hydre terroriste ont porté un coup énorme au développement du Show Biz et constituent de nos jours les principaux problèmes. Si je dois évaluer l’état actuel du Show Biz en dépit de l’insécurité, je dirais qu’il y a eu une avancé substantielle. Mais avec les mêmes grandes tares qu’il traine il y a plus de 40 ans notamment liées à l’absence de salles professionnelles. Nous avons aussi assisté à une transformation du spectacle. D’antan, les concerts constituaient la forme de cadre d’expression le plus utilisé. Mais de nos jours, l’animation et les festivals ont pris le pas sur les concerts. Le spectacle live peine toujours à s’imposer à cause de la faiblesse des cachets proposés par les promoteurs dû aussi entre autres à l’inacceptabilité financière de la logistique dont le coût reste toujours élevé par rapport à la formalisation de tout grand projet de développement de la musique. La ressource humaine reste faible et peu formée malgré la naissance de plusieurs centres et d’initiatives de formation artistiques et d’administration culturelles. L’insuffisance du financement du Show biz reste criarde avec une faiblesse du sponsoring et un accompagnement insuffisant de l’Etat. La plus grande des difficultés dans tout ça, c’est l’inexistence d’un mécanisme structurant, fiable, de la circulation du spectacle dans tout le pays. Ce mécanisme est capable de contribuer de façon claire à l’économie nationale. Les tentatives de l’état de structurer le monde du spectacle par l’adoption d’un certain nombre de textes avec peu de vision porte des résultats mitigés. Je peux citer le statut de l’artiste, le décret portant sur la licence d’entrepreneur de spectacle etc. La diffusion effrénée de la musique d’ailleurs a longtemps et fortement ralenti le respect du Burkinabè à sa propre culture, mettant en mal la fierté nationale de la jeunesse, d’où l’importance d’instituer un quota de diffusion. La multiplication des organes médiatiques qui devrait être un atout de développement a plutôt desservi. La mauvaise qualité de nos musiques a toujours été l’argument principal servi par un certain nombre de médias et maquis pour ne pas diffuser la musique Burkinabè. Aujourd’hui, cet argument est et a toujours été obsolète. Dans une vision évènementielle du Show biz, on voit des remplissages de stades avec des méthodes et des modèles économiques douteux, car des fois beaucoup de billets sont distribués par des sponsors et cautions morales (parrains, patrons etc.).
Quels sont les principaux défis auxquels font face les artistes burkinabè de nos jours, selon vous ?
Les artistes musiciens font face de nos jours à 3 grands défis, à mon avis : la formation, la création et la diffusion. Le plus grands des défis restent la diffusion. La diffusion médiatique et la diffusion du spectacle. La diffusion dans les médias notamment radio, télé ainsi que dans les maquis et bars, des artistes Burkinabè bien qu’améliorée dans ces dernières années reste problématique à cause du dédain de certains animateurs et DJ pour la musique Burkinabè, mais aussi du fait que beaucoup sont analphabètes de notre musique. De nos jours, au regard de l’inaccessibilité des scènes, plus de 80 % des artistes peuvent passer plus de six mois après la sortie de leur album sans avoir une scène fiable. Il joue pour la plupart pour leur « promotion » entre guillemet. Pourtant, la mise en œuvre d’un bon mécanisme de circulation du spectacle est capable de les employer utilement et de leur permettre de contribuer honorablement à l’économie nationale. Tout forcing pour appliquer des taxes dans le secteur de la musique sans ce mécanisme est une condamnation à la précarité du monde culturel et un frein pour notre rayonnement international.
Comment la culture locale influence-t-elle le développement de la carrière des artistes ?
La culture locale, parlant des arts traditionnels, a toujours été en générale la base d’appui de la création de nos artistes et aussi une bonne source d’originalité. Cependant, certains pans de nos cultures actuelles, parlant des traditions, ont fortement joué sur l’accompagnement de la musique parmi ces pans, la place marginale de l’artiste dans nos sociétés après la colonisation, le déni de nos propres valeurs entre autres. Longtemps, la musique n’a jamais été considérée comme une profession et cela persiste toujours chez la plupart des Burkinabè.
Existe-t-il des opportunités spécifiques que vous observez dans le secteur culturel burkinabè ?
Dans ce contexte de terrorisme et de manque de mécanisme rentable de circulation des artistes j’avoue que les opportunités sont rares. Néanmoins, je pense que l’internet est une grande opportunité. Avec ses canaux de diffusion et les opportunités de contacts multiformes, l’internet offre à chaque artiste une chance. Mais il faut savoir encore la saisir.
Quelles sont les compétences essentielles pour un artiste souhaitant gérer sa carrière efficacement ?
Les grandes compétences essentielles nécessaires pour une bonne gestion de carrière chez un artiste sont : le talent, une capacité de vision et une bonne hygiène de vie.
Quel rôle joue un manager dans le développement de la carrière d’un artiste au Burkina Faso ?
Tout sauf chanter. Le manager est le principal point d’accès à l’artiste. Il constitue le principal fondement du développement de l’artiste car c’est lui qui conçoit le plan de carrière de l’artiste, l’exécute et le gère.
Comment les artistes peuvent-ils mieux se positionner sur le marché national et international ?
Chaque artiste a la possibilité de se positionner sur le plan national et international. Cela va dépendre essentiellement de son talent, de sa capacité d’ouverture artistique et surtout, de sa capacité à mettre en place une bonne organisation autour de lui. Le talent et la capacité d’ouverture artistique constituent le fondement et un bon plan de carrière pour atteindre toutes les cimes artistiques nationales et internationales.
Quelle importance accordez-vous à la formation pour les artistes et les managers dans le secteur ?
La formation est essentielle dans toutes démarches et de gestion artistique. Il y a certes d’autres artistes qui naissent avec leurs talents mais il leur faut une formation scientifique pour mieux arborer la carrière d’artiste. Quant au Manager, il peut aussi apprendre dans le tas en autodidacte mais c’est un chemin long. C’est pourquoi je recommande plus la formation, même si ce ne serait pas une formation complètement académique. Il faudrait participer aux sessions de formations ponctuelles qui peuvent donner les rudiments pour un meilleur accès aux différents paliers du métier. Il faut se dire que dans tous les métiers d’artistes c’est la passion qui te donne l’envie et l’ambition d’apprendre sans la passion tout est difficile.
Quelles formations spécifiques recommandez-vous pour les artistes en herbe ?
Cela dépendra du choix d’orientation de chaque artiste. Mais ce que je sais qui très utile pour les artistes débutants c’est la formation en préparation de carrière. Cette formation permet à l’artiste de voir l’univers de la carrière artistique et d’opérer les choix judicieux de formations nécessaires pour sa carrière.
Comment sensibiliser les jeunes artistes aux aspects commerciaux de leur carrière ?
Comment sensibiliser les jeunes artistes aux aspects commerciaux, je pense que c’est à travers les formations en préparation de carrière. Et plus tard, à travers les partenaires qu’il se dotera comme les Managers, les Producteurs etc.
Comment apercevez-vous le show-biz burkinabè dans les prochaines années ?
Difficile si nous n’apprenons pas à lire le monde. Chaque Pays s’ouvre à travers l’internet et se barricade à travers des mesures de protection rendant très difficile les accès au marché à l’international. Si le Burkina Faso continue dans cette posture sans protéger son marché intérieur, les artistes Burkinabè continueront de perdre des marchés à l’intérieur et se verront bloqués sur le marché international. Aussi, d’une autre façon, je vois l’évolution positive au regard du renforcement des logistiques artistiques, des chutes progressives des barrières liées à des facteurs socioculturelles, la volonté politique affichée des autorités sur la place de la culture dans la conquête de notre souveraineté , ce qui peut augurer plus de décisions et d’actions administratives, financières et d’investissements multiformes capables de mieux structurer et cultiver l’économie culturelle, gage d’un avenir radieux porteur d’identité et de devises.
Comment la technologie a-t-elle modifié le paysage du show-biz burkinabè ?
La technologie a vraiment modifié le paysage du show-biz burkinabè. Elle a facilité l’accès aux moyens d’enregistrement, effriter l’élan d’apprentissage, noyé quelque fois nos cultures, ouvert nos créations au monde, améliorer l’accès à la musique, ébranler la structuration traditionnelle de la musique, améliorer la communication de masse, multiplier à plusieurs degré le nombre d’artistes etc. Sur le plan de l’apprentissage, d’antan, seuls les passages dans des orchestres ou l’apprentissage à travers un maitre pouvaient ouvrir un artiste au studio d’enregistrement et à la scène. De nos jours, on peut directement partir au studio préparer ses œuvres, ensuite aller à l’assaut médiatique et des scènes. D’antan il y avait des producteurs. Maintenant très peu de personnes s’investissent car l’évolution des supports de musique a fait écrouler le marché. Aussi de nos jours un artiste peu se construire sans passer par les médias traditionnels (radio, télé, journaux …). La technologie a catalysé l’information et la communication a permis à beaucoup d’artistes de remplir des salles et même des stades. Bref la technologie a vraiment modifié le paysage du Show biz.
Quelles plateformes numériques sont les plus efficaces pour la promotion des artistes au Burkina Faso ?
Toutes ou presque toutes sont efficaces. Seulement, il faut savoir faire les choix et les utiliser. Il faut aussi reconnaitre que certains sont plus populaires que d’autres. Aussi, la portée ou l’impact d’une plateforme diffère d’un pays à un autre. Ce n’est pas qu’une plateforme est plus populaire que l’autre que, si tu l’utilise, tu peux facilement atteindre tes fins. Plusieurs facteurs conditionnent la réussite sur les plateformes.
Quels changements souhaiteriez-vous voir pour améliorer le secteur ?
La mise en place d’un mécanisme huilé de circulation des artistes sur le plan nationale et international. Ce mécanisme suscitera la logistique adéquate, la ressource humaine nécessaire et une meilleure structuration du milieu culturel.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes artistes qui débutent dans l’industrie ?
Moi en tant que Manager, le plus grand conseil que je donne aux jeunes artistes est de suivre des cours de préparations de carrière. Les cours de préparations de carrière leur donneront une meilleure connaissance du milieu culturel et des rudiments clairs sur ce qui les attend dans une carrière.
Avez-vous des remarques ou suggestions supplémentaires concernant la gestion des carrières d’artistes au Burkina Faso ?
Il y a très peu de Managers pour un très important nombre d’artistes. Il faudrait davantage de managers. Il faut plus de formations pour les Managers. Il faut aussi que les Manager acceptent de se former. Au Burkina, les gens ont l’habitude de croire que c’est facile d’être Manager, puisqu’ils cantonnent le rôle du Manager à quelqu’un qui cherche un contrat pour un artiste. Les artistes eux-mêmes ne savent pas le rôle d’un Manager. Ce qui reste critique. Les Managers que je forme se retrouvent à travailler plus dans l’évènementiel. Si je demande pourquoi ce choix, ils me disent que les artistes en général ne connaissent pas le rôle du Manager et il y a trop de conflit. Mais avec l’évènementiel, l’argent est plus rapide. Tant qu’il n’existera pas un mécanisme fiable de circulation des artistes, il serait très difficile que le secteur burkinabè soit économiquement fiable.