Abdoul Rahamane Cissé, médecin fédéral de la fédération burkinabè de cyclisme : « Depuis quelques années, le cyclisme burkinabè semble avoir levé le pied de la pédale »

Abdoul Rahamane Cissé, médecin fédéral de la fédération burkinabè de cyclisme : « Depuis quelques années, le cyclisme burkinabè semble avoir levé le pied de la pédale »

Passionné de cyclisme depuis sa tendre enfance, il n’a pas hésité à devenir cycliste, une fois grand. Depuis lors le vélo et lui, c’est le parfait amour. Lui, c’est Abdoul Rahamane Cissé, médecin spécialisé en médecine du sport et en orthopédie –traumatologie, enseignant hospitalo-universitaire à l’Université Joseph KI-Zerbo et au CHU de Tengandogo. Par ailleurs médecin fédéral de la Fédération burkinabè de cyclisme, nous avons échangé avec lui le 27 janvier 2025 sur tout ce qui a trait au cyclisme spécifiquement le Tour du Faso. Pour lui, le Tour du Faso fait la fierté du Burkina, mais a besoin d’amélioration pour rester toujours parmi les meilleures compétitions de cyclisme dans la sous-région. En plus, il a été question de la suspension du Burkina par l’Union cycliste internationale pour avoir permis à des coureurs russes à participer au Tour du Faso. Pour lui, la politique ne doit pas se mêler du sport. Lisez la suite !

 

Vox Sahel : Qu’est-ce qui vous a attiré au cyclisme ?

Abdoul Rahamane Cissé : Je suis très passionné du cyclisme depuis l’enfance. J’ai toujours été émerveillé par le courage des cyclistes et la beauté du spectacle qu’ils offraient lors des arrivées du Tour du Faso à Bobo-Dioulasso. C’est ainsi que j’ai été piqué par le virus du cyclisme depuis mon école primaire. J’avoue que j’ai passé toute mon enfance à rêver être un champion cycliste. Malheureusement, le coût exorbitant des vélos de course ne m’a pas permis de commencer tôt ce sport. C’est au début de mes études à l’université que j’ai pu économiser ma bourse pour m’acheter mon premier vélo de course. J’ai remporté la première édition du « Campus Critérium » en 2003. Le Directeur technique national de la Fédération burkinabè de cyclisme de l’époque M. Aboubacar Tao qui m’a suggéré de penser à faire une carrière dans le cyclisme, car il voyait en moi quelqu’un qui avait un grand potentiel pour ce sport. Pour m’encourager, il m’a offert des vêtements de coureur cycliste. En 2005, j’ai été repéré par les dirigeants du club ASFA lors de mes entraînements. C’était le début de ma carrière dans l’élite du cyclisme burkinabè. Après six ans de compétition, j’ai décidé d’arrêter ma carrière sportive pour me consacrer à l’exercice de la médecine, mais en restant dans le domaine du sport. C’est pourquoi j’ai fait une spécialisation en médecine du sport pour mieux accompagner les sportifs burkinabè dans l’atteinte de la performance, tout en préservant leur santé.

Quels ont été vos plus grandes réussites et défis durant votre carrière de cycliste professionnel avec l’équipe de l’ASFA-YENNEGA ?

Le plus grand défi pour moi a été de pouvoir allier les études de médecine « Ceux qui disent que la politique ne doit pas se mêler du sport semblent faire du deux poids deux mesures » avec la pratique d’un sport très éprouvant physiquement comme le cyclisme. Grâce aux soutiens et encouragements de plusieurs personnes, j’ai réussi à m’inscrire parmi les pionniers de cette discipline dans le monde universitaire. C’est une grande fierté de pouvoir tracer la voie pour certains étudiants champions cyclistes comme Mathias Sorgho qui a été vainqueur du Tour du Faso.

Que vous apporte aujourd’hui votre amour pour le vélo, aussi bien personnellement que professionnellement ?

D’abord, mon orientation vers la médecine du sport a été inspirée par ma carrière de cycliste. Ma passion pour le vélo m’a permis également de rencontrer beaucoup d’amis dans le domaine du sport et même en dehors. Ce carnet d’adresses m’a franchement aidé dans ma vie personnelle et professionnelle.

Comment voyez-vous l’évolution du cyclisme au Burkina Faso en particulier et en Afrique en général ? Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels font face les cyclistes africains ?

Les Burkinabè sont dans leur majorité passionnés de cyclisme. Mais la gestion politique de la discipline est à améliorer. L’Afrique a également beaucoup de potentiel dans cette discipline. Le dernier vainqueur du maillot vert au Tour de France est un Erythréen. En tant que vice-président de la commission médicale du

Tour du Faso, quel est votre rôle exact et vos responsabilités ?

Etant chirurgien orthopédiste, mon rôle principal est d’aider la commission médicale à prendre en charge les cas de traumatismes graves nécessitant un avis orthopédiste et/ou une intervention chirurgicale. Etant le médecin de l’équipe nationale de cyclisme, je dois veiller également au bien-être des coureurs burkinabè.

Quel bilan faites-vous du dernier Tour du Faso ?

Je suis très satisfait sur le plan organisationnel, car c’était un gros défi remporté par tous les Burkinabè qui ont encore prouvé leur capacité de résilience face à l’insécurité que traverse notre pays. Sur le plan sportif, les résultats nous montrent le travail à faire pour reconquérir notre place dans l’échiquier du cyclisme africain. Dans le cyclisme, dès que vous levez le pied de la pédale, vous êtes éjecté du peloton des meilleurs. Malheureusement, depuis quelques années, le cyclisme burkinabè semble avoir levé le pied de la pédale.

Parlant toujours du Tour du Faso, le Burkina a été suspendu par l’UCI pour avoir laissé participer une équipe du Tour. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

C’est regrettable. Ceux qui disent que la politique ne doit pas se mêler du sport semblent faire du deux poids deux mesures. Les Russes ont participé à la renommée du Tour du Faso en prenant part aux premières éditions et en offrant des stages de formation aux cyclistes burkinabè de l’époque. Il serait ingrat d’empêcher que les enfants et les petits-enfants de ces Russes puissent participer à la fête du vélo avec nous.

Quels seraient justement les impacts de cette suspension sur le Tour en particulier et l’activité du cyclisme général au Burkina Faso ?

La reconnaissance internationale du Tour du Faso pourrait en souffrir. Mais je crois en la capacité de notre peuple à s’adapter et même à se réinventer.

Comment percevez-vous la tenue du Tour du Faso malgré la crise sécuritaire ?

Un grand défi surmonté grâce à la détermination de nos FDS, à qui je rends une fois de plus un vibrant hommage.

Vous qui êtes membre fédéral, quelle analyse faites- vous de l’impact de la crise sécuritaire sur le Tour ?

Très peu d’impact sur la popularité et la réussite organisationnelle de l’événement. Au contraire, on ne sent plus de fierté à réussir le pari organisationnel dans ce contexte difficile.

Quelles mesures de sécurité et de santé sont mises en place pour protéger les cyclistes pendant la course ?

Difficile pour moi de parler des mesures sécuritaires. Pour la santé, un accent particulier est mis sur la collaboration des collègues des régions traversées pour nous prêter main- forte au besoin. Dans le sport mécanique, toutes les éventualités sont à envisager. Il y a une équipe chirurgicale dirigée par moi-même et basée à Ouagadougou pour la prise en charge rapide des cas nécessitant une intervention chirurgicale.

Pourquoi avoir choisi de devenir chirurgien orthopédiste ? Est-ce un choix qui influence votre passé de cycliste ?

Oui, ce choix a été guidé par ma passion pour le sport. La médecine du sport et la chirurgie orthopédique forment un couple idéal pour la prise en charge des traumatismes sportifs à mon avis.

Comment parvenez vous à combiner vos responsabilités en tant qu’enseignant- hospitalo-universitaire et votre activité de médecin du sport ?

Je suis effectivement enseignant en médecine du sport. En médecine comme partout ailleurs, il est difficile d’enseigner quelque chose qu’on ne vit pas sur le terrain. La littérature est fournie, mais l’expérience du terrain est un grand plus. En outre, il faut faire de la recherche à partir des observations du terrain pour contribuer à la science et au bien-être des sportifs.

Selon vous, quel est l’impact du sport, et en particulier du cyclisme, sur la santé physique et mentale ?

Je pense que le cyclisme fait partie des plus beaux sports au monde. Le vélo, l’équipement, les traversées des beaux paysages et des villes sont magnifiques. C’est l’un des rares sports qui vont vers les spectateurs. Les cyclistes passent devant les concessions et les hameaux de culture pour offrir gratuitement du spectacle au public. Le cyclisme est encore plus intéressant lorsque les règles de la discipline sont connues. Ils sont nombreux ceux qui ne maîtrisent pas les calculs de temps pour désigner le vainqueur d’une course à étapes. Lors des arrivées au sprint, le travail d’équipe est magnifique. Pour le sport santé, le cyclisme est assez complet et moins traumatisant pour les articulations des membres inférieurs comparé aux sports en charge comme le football. Le vélo est un moyen de déplacement économique et protecteur de l’environnement.

Les blessures sportives sont-elles un domaine spécifique de recherche pour vous ? Pourriez-vous partager des exemples de recherches ou d’études que vous avez utilisés à ce sujet ?

Oui, la recherche en médecine est très passionnante. Il y a des sujets très spécifiques comme les technopathies, qui sont liées aux gestes techniques et aux matériels utilisés. La connaissance de la discipline sportive est indispensable pour la recherche sur ce sujet.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes sportifs pour éviter les blessures et optimiser leur santé sur le long terme ?

Avoir une bonne hygiène de vie et suivre les recommandations des médecins pour la prévention et la prise en charge des blessures liées à la pratique du sport.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes Burkinabè qui souhaitent se lancer dans le cyclisme professionnel ?

Être très discipliné et suivre la courbe de progression. Bien écouter son corps et bien récupérer après les entraînements et les compétitions.

Au regard du dernier résultat du Burkina Faso au Tour, comment voyez-vous l’avenir du cyclisme au Burkina Faso, notamment en termes de formation, d’infrastructures, et de compétitions ?

Je pense qu’on doit rectifier les tirs à tous les niveaux. Pour cela, il faut la collaboration de tous les acteurs (cyclistes, dirigeants et gouvernants du sport).

En tant que diplômé de l’UCI, quel est votre regard sur tout ce qui se passe sur le Tour du Faso ?

On ne travaille pas assez à l’évolution de la discipline. Je suis désolé de constater que certains prennent le Tour comme une foire où il faut venir faire des affaires, se remplir les poches et continuer. Il faut des actions pour préparer l’avenir. Sinon, on sera surpris de voir le Tour du Faso reculer dans le classement des grands tours cyclistes du continent.

En tant que médecin et ancien athlète, quelles améliorations aimeriez-vous voir dans le domaine du sport et de la santé au Burkina Faso ?

Il faut une meilleure organisation de la médecine du sport. Tous les acteurs de la spécialité et le ministère de la Santé sont interpelés pour une reconnaissance et une promotion de la spécialité pour le bien-être des sportifs qui participent à la vie sociale et économique du pays.

Avez-vous un projet personnel que vous aimeriez encore accomplir, soit dans le domaine du sport, soit en médecine ?

Après avoir contribué à l’introduction du cyclisme à l’université, je rêve de faire la même chose dans une autre population.

 

Vox Sahel

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